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TRANCHE DE VIE DODESQUE
Tout à commencé voilà à peine quelques mois. Tu venais de déménager et tu t'es retrouvé dans un appartement humide au rez-de-chaussée d'un immeuble de cinq étages.
Bien que tu les aies croisé plusieurs fois, tes voisins te regardaient toujours de travers. Surtout la petite vieille du cinquième. Tu sais ? Celle qui nourrit les pigeons qui viennent chier sur le pas de ta porte.
Ton boulot n'en parlons même pas. Que des têtes de cons.
Bref, une bien triste vie.
De l'ordinateur tu ne connaissais rien. Ce n'était pour toi qu'une saloperie de machine, un truc qui plantait tout le temps quand tu rentrais les stats des revenus de ta boîte. Un gros minitel en somme.
Des jeux tu ne savais pas grand chose non plus. Oh, il y avait bien Pong et Pacman auxquels tu avais joué vers tes six ans, et¨aussi les jeux de cartes chiants proposé par Windows 95 (entre midi et deux, plutôt que la cantine).
Ta belle, elle, te racontait les journées « formidables » qu'elles passait à son travail, et s'éclatait tous les week-ends en randonnée avec ses « super-copines ». Toi, tu n'aimais pas marcher et tu t'emmerdais tous les samedis.
Tout seul.
Mais un jour, ta vie a changé. Invité par l'un de tes amis, tu as découvert D.O.D.
Rapidement, tu t'es acheté de quoi y jouer chez toi. Ta copine n'a rien dit, mais ça t'avais quand même coûté cinq mille balles.
Et tu t'y es mis tous les jours.
C'était pas facile au début. Toutes ces touches! Ca te changeait du bon vieux joystick à trois boutons.
Mais tu t'es accroché. Tes journées te paraissaient moins grises, moins longues.
Tes voisins, tu t'es mis à t'en foutre. Tu te surprenais même à étudier, dans ta tête, la configuration de la cour intérieure de ton immeuble : « si je snipe la vieille du cinquième en me cachant entre les deux poubelles qui jouxtent ma porte ? Merde ça va pas, une MG peut couvrir du local à vélo ! »
T u rêvais enfin, comme un gosse. La nuit, tu te tournais et te retournais dans ton lit en repensant au actions d'éclat que tu avais pu faire dans la journée. Dans la rue, tu bombais le torse, tu regardais désormais les gens droit dans les yeux. S'ils savaient qui tu étais !
Tu t'étais fais des « relations » dans le milieu de dod. Parfois, tu rencontrais l'un de tes comparses autour d'un café et tu parlais bien fort : « putain, hier j'ai trop fait le roxxor ! J'ai enchaîné les unscopes et les fulls caps sur toutes les map ! Ils me disaient tous « gg », même ceux que j'avais TK !» Du coin de l'oeil, tu matais les gens ébahis des tables voisines. Ils te regardaient avec l'admiration du profane face au spécialiste. Ah ouais ! y'avait pas à dire, t'étais vraiment devenu un killer !
Bientôt tu t'es intégré à une équipe, fais de nouveaux amis. Entre autres un certain « G.laplugroce » et son acolyte « Poilokiki ». Tu as tout partagé avec eux. Le goût amer de la défaite et les joies insensées des plus belles victoires :celles qui doivent tout au bel esprit de solidarité que tu redécouvrais enfin !
Mais toute médaille a son revers. Tu n'as pas tardé à le découvrir.
Ta copine tout d'abord : sans doute jalouse de ton succès, aigrie par ton insolente réussite, terrorisée à l'idée de devoir rester dans ton ombre , elle a tout fait pour te pourrir la vie.
Insidieusement, elle a commencé en douce à miner ton moral d’acier :elle voyait bien que tes parties nécessitaient un créneau horaire quotidien de 3 heures (20h 23h), mais tu crois qu’elle aurait fait un effort ?
Que nenni ! Egoïstement, elle s’obstinait à préparer la bouffe aux moments les plus décisifs. Et pas n’importe quelle bouffe ! La bouffe vicelarde, celle qui n’attend pas, dite « dépêches-toi-ça-va-r’froidir ».
Elle n’attendait qu’une chose :que tu dérapes. Tu faisais bien attention au début : « j’arrive chérie ! », mais la vicieuse a intensifié le pilonnage. Elle venait regarder par dessus ton épaule, te bousillant tes dernières secondes de jeu. Souvent avant un full cap, d’ailleurs…
Tu sentais son regard désapprobateur. Elle résumait les chaudes valeurs masculines, la saine et virile émulation charriées par D.O.D, à un jeu « con-macho ».
La conne !
Elle persiflait régulièrement de vilaines remarques censées t’humilier : « Qu’est ce qu’il sont vulgaires tes copains ! », « c’est malsain tout ce sang », et surtout « t’y prend vraiment plaisir à tuer tous ces gens ? ».
Réduit au rôle de psychopathe sadique, incapable de lui expliquer toute la finesse d’un jeu que son esprit obtus ne pouvait comprendre, tu as fini par craquer. « Mais c’est la guerre bordel ! Tu comprends rien et c’est pas moi qui regarde Marjolaine et les millionnaires, alors tes leçons de morales, hein !… »
-« je te prépare à manger et c’est comme ça que tu me parles !? »
-« si j’étais seul je mangerai pas et pis si tu t’appliquais plus, t’y serais encore et j’aurai peut-être meilleur appétit qu’avec ta bouffe dégueulasse ! »
Là, elle est devenue violente : grosse claque dans ta gueule, puis claquage de porte.
Moment glauque où seul devant ton ordi, tu contemples l’appart vide, qu’elle a quitté sans même faire la vaisselle, alors qu’un de tes copains, comique, envoie la Zoubida au micro….
Mais tu te reprends. « Pour un peu elle m’aurait fait culpabiliser la garce ! »
Elle n’a pas tardé à revenir, signe certain qu’elle se savait en tort. Tu n’as pas desserré les dents, drapé dans ta fierté. « Elle viendra s’excuser en rampant » te disais-tu.
Ca a duré trois mois…La « drôle de guerre », chacun campant sur ses positions .
Tu t’affaiblissais jours après jours. Privé de repas consistants (elle te préparait plus rien) tu vivais de coca et de surgelés. Et puis elle avait l’appui logistique de nouvelles technologies que tu ne maîtrisais pas(machine à laver, four électrique…). C’est alors qu’elle a lancé l’ultimatum : « bon j’en ai marre ! c’est moi ou l’ordinateur ! Et puis je reste que si tu t’excuses ! »
La vache ! elle te rejouais Hiroshima et le plan Marshall !
L’ordi cale désormais les fauteuils relax et la petite table de camping dans l’armoire de l’entrée. Ton équipe à reçu un mail laconique qu’ils n’ont toujours pas dû comprendre :
De “ gg-team.roxxor@hotmail.com”
« Assiégé trois mois, vivres coupés. Reddition sans condition: menace d’armes non conventionnelles. Ai résisté de toutes mes forces. Bonne chance à tous, surveillez vos arrières. »
Moralité : Si à dod tu veux durer,
A te tempérer tu dois te résigner.
Zbire, CZ-team.com